La Maison des viscères récidive avec une seconde anthologie. Après une entrée en force dans le monde littéraire avec Agonies, qui a révélé une maison d’édition où l’horreur fuse de toutes parts avec une liberté sans bornes, Exodes se révèle moins immoral et d’un style plus raffiné. De fait, si les histoires que l’on y trouve baignent toujours dans une atmosphère sanglante, elles sont dans l’ensemble plus soignées, réfléchies; d’autant qu’elles s’inscrivent en quelque sorte dans l’histoire du Québec. L’illustration de la couverture le démontre bien : un long bâton à la main, casquette à l’ancienne sur le crâne, un draveur conduit des cadavres flottants sur l’eau… Il va sans dire que l’horreur s’amalgame ici au terroir québécois – thème central qui relie les trois novellas d’Exodes. Les éditeurs ne manquent d’ailleurs pas de nous rappeler l’identité entre les mots « terroir » et « terreur » dans l’introduction du livre, qu’il importe de survoler.
« L’enfant du diable » de Nicolas Handfield s’avère une version revisitée de l’histoire d’Aurore Gagnon, fillette victime de maltraitance au point d’en avoir succombé en 1920. Toutefois, elle est surtout connue dans la culture populaire en tant qu’ « Aurore l’enfant martyre ». Dans le récit de Handfield, non seulement un mal démoniaque y est-il pour quelque chose dans son cruel supplice, mais la petite Aurore se vengera à sa façon, avec l’aide de son frère Léon. Pendant que leur père, Télésphore, s’envoie en l’air avec la mégère responsable du mauvais traitement des enfants, les morts ressurgiront de l’ombre pour assouvir leur faim. Il en résulte un récit brillant, où les descriptions détaillées se mêlent à des dialogues à la sauce québécoise. De plus, Handfield propose une nouvelle interprétation du mythe d’Aurore, laquelle s’insère merveilleusement dans l’histoire originale. Ainsi nous montre-t-il qu’il est possible de remanier les classiques avec une fraicheur nouvelle. Dans son cas, il y est parvenu de manière judicieuse.
Le texte de Daniel Sernine, « Hécate », est peut-être le plus esthétique du livre, mais aussi le moins mémorable. Traqué par ses démons, Louis Leroux veut fuir la ville pour gagner la campagne – là où courent les loups affamés, y compris Hécate à la robe ensanglantée. Une ambiance de rêverie règne tout au long de ce récit aux relents lycanthropiques; car le lecteur s’y perd, les chapitres se succédant de manière décousue à travers une prose noire, élégante. Peut-être ce caractère nébuleux d’« Hécate » est-il ce qui préserve l’intérêt du récit, qui laisse au final peu d’empreintes dans la mémoire du lecteur?...
La dernière novella est de la plume de Luc Dagenais. « 514 YIH-OOPI » relate l’histoire de la ville de Montréal sous un jour nouveau : simple colonie minière, elle regorge de y’i:hoopis – nom aussi étrange que les créatures qu’il désigne. En effet, il s’agit de gigantesques monstres hirsutes au sang corrosif qui se plaisent à dévorer les humains. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve – évidemment, qui d’autre? – et ses acolytes s’efforceront de les combattre. Ici, Dagenais mêle fiction et réalité avec grand brio. Si des personnages historiques tels que le fondateur de Montréal et Jeanne Mance, la cofondatrice, prennent une place importante dans le récit, les créatures et quelques aspects plus science-fictifs révèlent un ton plus imaginaire. Sans compter qu’une petite touche romantique transparait ici et là dans l’écriture maitrisée de Dagenais.
Exodes contient aussi de courtes nouvelles d’environ deux pages, toutes plus tordues les unes que les autres. Elles sont signées par Richard Tremblay, Martin Mercure, Geneviève Blouin et, pour l’édition limitée, Ariane Gélinas. Soulignons au demeurant la qualité des illustrations intérieures, toutes magnifiques et joliment colorées. Ainsi, abstraction faite de quelques coquilles peu dérangeantes, Exodes mérite d’être lu et relu. La Maison des viscères nous prouve une nouvelle fois que le gore et l’horreur ne sombrent pas toujours dans le n’importe quoi. Avec Exodes, un contenu de qualité s’amalgame à des atmosphères sombres, malsaines – si ce n’est carrément dérangeantes!Merci à David Hébert qui a la gentillesse de nous permettre de reproduire sa critique dans son intégralité.
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